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Photo du rédacteurAïkà De Lire délire

Lu & Approuvé : Le Relais des Amis de Christine Montalbetti



Ami.e De Lire bonjour,

Aujourd'hui nous allons parler aujourd'hui du roman de Christine Montalbetti intitulé Le Relais des amis, éditions P.O.L, 144pages.

Le café-départ


De nos jours. Un café pittoresque sur la côte normande nommé à point Le Relais des amis, le calme hors saison touristique, une brise marine revigorante et les échos du grand large : malgré les tous les moyens qu’il s’est donné et le décor qui s’y prête à merveille, Simon peine à remplir sa page qui reste désespérément blanche. Notre écrivain est en panne d’inspiration, à la recherche d’une histoire qui fera mouche et qui entraînera ses lectrices et lecteurs dans d’incroyables aventures… Mais le souffle manque à l’appel, le miracle tant attendu n’a décidément pas lieu. Et si l’on se rabattait à commander un café alors?

Le café est préparé par les soins de la serveuse... Zoom sur Tatiana, son talent à servir des boissons réconfortantes, sa vie privée, à peu près tout ce qui la concerne à cet instant T, en quittant définitivement Simon sans nous retourner. Pour ainsi dire, le focus narratif est dirigé sur la jeune femme jusqu’au moment où apparaît son patron... Zoom sur ce dernier, avec son lot d’histoires familiales, qui devient notre sujet jusqu’à ce que débarque le stagiaire qui lui vole la vedette... De fil en aiguille, le récit nous mène dehors, croisant une agente immobilier, son client et ainsi de suite.

J’évite de vous dévoiler la myriade de personnages dont vous vous délecterez de découvrir des débris de vie à leur insu. Avez-vous saisi le concept ?

Et comme promis en quatrième de couverture, la magie du récit nous transportera aux quatre coins du globe pour mieux revenir… au point de départ, là où tout a commencé. Et la boucle est bouclée.


Pour ma part,


La quatrième de couverture est un topo résumant bien,certes, mais sans révéler vraiment à quoi s'attendre. Et j'ai été très surprise, pour ne pas dire déroutée par le concept, surtout au début.

C'est la première fois que je "tombe" sur un roman d'expérience littéraire et ludique, s'adressant à ma personne ; il ne manquerait plus qu’il soit interactif.


L’acrobatie romanesque de cette œuvre tient dans sa structure : sans le moindre temps mort, façon plan-séquence comme au cinéma, la narratrice nous fait glisser d’un personnage à un autre, d’une scène à une autre, d’un pays à un autre.


Dans son style bien à elle, par le biais de nombreuses mises en abîme et d’étincelles d’humour, la romancière s’adresse à nous lectrices et lecteurs, pour nous déloger d’une réalité et nous catapulter ailleurs, et avant que l’on ait eu le temps de dire ouf, on se retrouve propulsé quelque part au XIXe siècle ou au fin fond des USA ; j’en passe et des meilleures.


Je ne m'attendais pas à un tel tourbillon de maestra littéraire pourtant le concept tient dans le titre « Le Relais des amis ». Comme dans une course de relais, chaque coureur transmet au suivant un bâton de relais appelé témoin. Inutile d'arguer que le témoin ici, c’est nous !


À mon humble avis, ce concept, sortant des classiques du genre romanesque, est digne d'un exercice oulipien*. Tout simplement bluffant : c'est une réussite.

Mention spéciale : j'ai adoré me retrouver dans la vie d'un goéland 😆

* de l’Oulipo : ouvroir de littérature potentielle depuis 1960


Quelques citations :


"Marcher, je vous le dis pour le cas où vous auriez envie un jour d'écrire, a un drôle d'effet entraînant. Vos jambes, pour un peu, deviennent des pistons, et tout se passe comme si d'invi- sibles courroies, les reliant à votre imagination, en transmettaient le mouvement à la zone de votre cerveau dans laquelle dormait la possibilité d'un récit. De cette manière bizarrement mécanique, par l'intermédiaire de toute une succession de rouages internes, enjambée après enjambée, lentement quelque chose en vous se remet en route, votre capacité à fabriquer des phrases, à les faire surgir, à inventer des mondes."


"Roger contemple son verre de blanc comme si la solution à tous ses problèmes se trouvait dedans. Une solution dense et minuscule, une particule, qu'il s'agit de déceler, et si elle n'est pas dans ce verre-là, peut-être qu'elle sera dans le suivant. Il paraît concentré, avec quelque chose de très intérieur, dans une certaine absence et à la fois extrêmement présent; et est-ce que ceux qui boivent seuls au comptoir n'ont pas l'air d'en savoir plus que nous tous sur la complexité des choses, est-ce qu'ils n'ont pas l'air de porter sur leurs épaules le poids des chagrins du monde, de les connaître intimement, ces chagrins, d'en détenir une conscience profonde et presque philosophique ?"


"(...) Bastien n'arrive pas du tout à regarder, elle est devant tout, elle brasse tout l'air. Il ne voit qu'elle, son énergie un peu mécanique, sa façon d'être, autoritaire, jolie mais plus tant que ça à force d'attraper tout le décor de sa voix haut perchée avec un genre de volonté d'acier, à force de plaquer des formules toutes faites sur cet endroit nouveau pour lui, d'emprisonner chaque détail dans sa vision immédiatement utilitaire des choses."


"Du coup, pas besoin de composter, non 1 tant de choses changent sans même qu'on ait le temps de s'en apercevoir bientôt on oubliera jusqu'à ce verbe, sans se douter de ce que ça aura pu signifier pour les générations précédentes de gestes obligatoires, de petits ballets devant la machine orange juchée sur son pied, avec le billet rétif qu'on n'engageait jamais dans le bon sens, enfin, je vous passe le récit de ces déboires qui bientôt, c'est ça aussi le temps qui passe, auront besoin de notes en bas de page."



"Ce moment comme ça un peu suspendu en quoi les trajets consistent, un temps perdu, pense-t-elle (au contraire de Greg qui regarde le dehors avec intensité, accumulant en lui les images), comme si son existence se trouvait amputée de ces heures-là, qu'elle emplit alors comme elle peut en s'engouffrant dans son téléphone, lequel offre, il faut bien dire, tellement de possibilités, et lui permet, par sa mini-fenêtre, d'entrer dans toutes sortes de mondes."


"Et c'est comme ça qu'on en vient à humer les vapeurs humides du Douro (ah, les voyages que ça permet, la lecture, cette liberté de circulation inouïe qui fait qu'en une seconde vous passez d'un lieu à un autre et est-ce que ce n'est pas merveille, quand des voyages, justement, on a longtemps été privés ?)."


"Ah, quels petits froissements d'âme, dans le cœur d'un jeune homme, quelles incertitudes (camouflées parfois par quelques slogans bien scotchés sur ses failles et qu'il profère à qui veut bien les entendre), quelles hésitations, quelle montagne de peurs, et à propos de l'amour quel dédain (l'amour, merci bien), et quel fol abîme pourtant, quels regrets précoces, quel sentiment étrange aussi d'avoir déjà tout vécu, quel regard blasé, quand on est si neuf, en vérité : enfin vous savez comme c'est, la jeunesse, et Kazuo, car ce jeune homme s'appelle Kazuo, dans tout ce marasme que c'est, le cœur d'un jeune homme, remue une pensée plus particulière, celle de Miyuki."


"Le ciel est calme, on avance à la vitesse de la lumière, bien agrippés au mot Reviens qui fend la nuit, les bras autour du i, et les jambes aussi, ou les mains suspendues à la barre horizontale de l'un des deux e et les pieds qui balancent dans le vide, ou encore assis dans le creux du v comme dans un siège baquet, vlouf, et toutes les foires du Trône peuvent aller se rhabiller, les trains fantômes, les montagnes russes, question frissons on est en plein dedans, on a les chocottes comme jamais."


"Je voulais plonger avec vous dans la fantaisie, et je me rends soudain compte que cette idée-là du relais, au départ purement ludique, et qui nous permet d'aller joyeusement d'un personnage à l'autre de manière fluide et libre, quand de liberté et de possibilités de voyages justement on manquait, finalement la reflète et l'illustre bizarrement, cette épidémie, puisque cette farandole, cette chaîne étrange, aussi bien aurait pu être enclenchée par une seule particule virale qui aurait été de l'un à l'autre en un parcours macabre et délétère."



"- ah, si seulement on pouvait, en guise de souvenirs, rapporter des objets des romans qu'on lit aussi bien que des voyages qu'on fait."


"Ne le lâchons pas d'une plume, et avec quelle facilité il surfe sur les masses d'air, avec quelle aisance somptueuse, tandis qu'au-dessous de lui le fleuve coule toujours qui tresse son eau parmi les pierres et les herbes des rives, décoiffant quelques hydrophytes à son passage, se précipitant vers l'estuaire, aspiré par l'idée de la mer, tout là-bas. La mer, son horizon, son but, son obsession, et son eau folle cavalcade, éperdue, fu- sionnelle, pour aller se jeter dans ses bras."



"Ça ne s'explique pas, il y a des ententes immédiates et tacites, des choses qu'on sait au premier regard et même si parfois ça ne va pas plus loin, même si parfois ça flotte seulement, si le temps passe tandis que dans un recoin de soi le souvenir de cette évidence inachevée s'émeut (avec quelques autres, puisque cette sorte d'intuition, oui, arrive plusieurs fois dans une vie). Ces ébauches de possibles se contentent alors de scintiller comme des espèces de papillons sur la prairie de vos pensées (je le dirais comme ça), et leurs battements d'ailes malgré tout vous accompagnent."

Christine Montalbetti in Le Relais des amis, P.O.L, 2023



Pour conclure,


+À lire si vous êtes en quête d’une expérience de lecture amusante et ébouriffante, si vous voulez célébrer la littérature et explorer les possibilités permises par elle.


- S'abstenir en revanche si vous n’aimez pas les points de suspension (réels ou imaginaires) car, en soit, ce récit n’a pas vraiment d’histoire au sens strict du terme, encore moins un point final.

Et vous, avez-vous déjà lu Le Relais des amis de Christine Montalbetti ? En avez-vous ressenti quelques vertiges comme moi?


Dans tous les cas, je vous invite à me faire part de votre avis via le petit formulaire de contact situé juste en bas de cet article.

Littérairement vôtre,


Aïkà

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